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"Dring" ou "Vrrrriiimmmmm" tonitruant, un voyant s'allume dans la salle de garde.
Le regard des Aide soignant (AS) et infirmiers (IDE) présents se dirige vers le tableau permettant d'identifier la chambre.
Allez, ce sera la nouvelle remplaçante qui s'y collera, et paf !

Combien de fois ai-je entendu cette phrase, digéré .... ou pas, cette réflexion....


Chambre 205, chirurgie,

une "post op'" souffre le martyre selon ses propres mots.
Jeune opérée, outre sa douleur qu'elle me qualifie "de niveau 7 sur 10", elle commence à vomir.
Son intervention de ce matin à la jambe s'est pourtant bien déroulée, mais je soupçonne la jeune femme,
d'être contrariée. Elle n'a reçu aucune visite de sa famillle, pourtant proche à la lecture du dossier médical.
Je la met en position assise, lui tend un haricot, et entreprend de changer le drap sur lequel elle n'a pu que

régurgiter, n'ayant rien d'autre à disposition. L'équipe du matin a du "omettre" ce détail.

Cette chose étant faite, le soulagement est immédiat, elle se sent mieux. Je décidé pourtant de lui faire prendre

sa température. Excès de zèle .? Je le saurai un peu plus tard....

37.8 °C, dans le jargon médical on appelle cela un fébricule. Je le note dans le dossier médical, réinstalle la patiente dans une position confortable. Je lui verse de l'eau dans un verre, place la table devant elle, avec le haricot désinfecté, des mouchoirs, bref, j'y place tout ce qui pourra lui être utile les prochaines heures.
Avant de la quitter, je l'encourage à sonner si elle a de nouveau un malaise.
Au retour dans la salle de soins, je me prend une "avoinée" par un IDE d'une cinquantaine d'année quand je parle

de la souffance de la patiente. Je suis sidérée....quel est notre rôle exact dans ce service .?
....Laisser souffrir le patient .? De plus, une prise de température était inutile selon lui.....!

J'enrage, et comme je sais que si je lâche mes pensées, elles seront très agressives.
Je quitte la salle de soins, rejoins mon vestiaire, c'était mon dernier jour, demain je suis en gériatrie (géria),

je suis une "tournante", je vais là où il faut boucher les trous.
Je suis tristounnette, j'aurais tant voulu rester avec la patiente de la 205, discuter un moment avec elle aurait certainement atténué sa douleur.....


Gériatrie.
6h30. Les soignantes sont déjà au travail. Personne dans les couloirs.
J'entend juste des bruits de vaisselle que l'on déplace dans les méandres de cet endroit glacial.
Quelques cris ici et là, mais également des gémissements.
Un homme erre....vêtu seulement d'un tee-shirt sans nom, à la saleté innommable.....

Son visage maculé d'une substance sombre, il marmonne, pieds nus, avançant à l'aveugle, il ne semble pas me voir...

Le décor est planté !

Enfin, je croise "une blouse rose", une femme, à peine quelques présentations d'usage.
Elle me demande de la suivre, me donne un plateau, un numéro de chambre, et me demande de donner la bécquée à la personne qui l'occupe.
Bon, allons-y. L'accueil n'est pas charmant, j'aurais désiré savoir à qui j'allais offrir cette "bouillie", ces médicaments..ya t-il un risque de fausse route .? Est-ce une patiente coopérative, consciente etc.....

Je n'aurai pas ces éléments.
Une forme dans un lit, juste une touffe de cheveux gris qui en dépasse.
Je regarde le nom sur le dossier, c'est une femme que je vais nourrir.


"Bonjour Madame X, je suis Anne, votre aide-soignante ce matin. Vous avez bien dormi .?"

-Bfrwdfgf.... me répond la forme allongée.


Je réhausse le lit, et "zou" la dame disparait sous les draps. Le mouvement du lit électrique doublé de ses 40 kilos l'ont littéralement propulsée au bout du lit.
Je dois la soulever, en la prenant sous l'épaule pour la faire apparaître et l'adosser du mieux que je peux contre les oreillers en position assise.

Je n'ai jamais compris, lors de mes nombreux remplacements pourquoi l'on ne fait pas cette manutention à deux.

C'est beaucoup plus facile pour le soignant, d'une part, et moins agressif pour le patient.

Je donne tant bien que mal son déjeuner à ma petite mamie, qui a bon appétit, et mange sans me regarder, sans établir le moindre contact verbal, ou non verbal avec moi. Cela me frustre presqu'autant que de donner des médicaments sans blistters, avec le risque que cela comporte pour une aide-soignante, car il en va de ma responsabilité de donner ces pillules rouges, bleues et jaunes sans savoir précisément si c'est bien l'IDE qui les a préparés etc....

J'ai toujours crains ceci, car, en principe, il n'est pas de la fonction de l'AS de donner le traitement sans délégation de l'IDE, or, bien souvent ce sont les AS qui préparent les traitements et les mettent dans les pilluliers nominatifs.
C'est interdit....comme bien des choses, hélas, en gériatrie c'est toléré.....


Je laisse ma patiente en position assise en quittant sa petite chambre, de peur qu'elle ne vomisse, je ne sais pas trop. Je ne connais pas sa pathologie clinique. Je ne prendrai pas de risque.

Barrières remises,

j'essaie de capter son regard, une caresse sur sa joue....elle n'aura aucune réaction. Ses yeux resteront fixés sur un point en face du lit.
Tout à coup, à peine sur le seuil de sa chambre, une AS arrive en trombe et manque de me percuter de plein fouet,



"mais tu n'es pas dans la bonne aile !!! Ici c'est l'aile 3 ! tu es dans la 2 ! avec Anita !!!, elle est toute seule, et a du commencer les toilettes...oulala, dépèche toi !!!"

et HOP ! elle disparait en courant.....me laissant me dépétrer pour trouver cette "Anita".

Je cours moi aussi, mes sabots manquent de glisser à maintes reprises, cela pourrait être cocasse s'il n'était pas si tôt, si je ne me sentais pas si paumée.....


Premières toilettes avec ladite Anita.
Elle revient de congé maternité. Elle non plus ne connait pas bien les patients de cette aile.
Partie depuis 6 mois, elle semble avoir du mal à reprendre ses marques, et parait heureuse de me voir et d'avoir du renfort.

Elle tient un bout de papier entre ses mains, avec toutes sortes de notes, qu'elle lit sans dire un mot.
Malheureusement pour moi et ma façon de travailler, elle travaille seule. Et son pense bête elle l'a travaillé la veille avec la surveillante.

Nous nous partageons donc les 26 résidents de cette aile.

Je n'ai pas le choix, il est bientôt 8h; il va falloir passer à la vitesse supérieure dans la joie,

et si possible, la bonne humeur, "sic" !

Je commence par un numéro de chambre noté par Anita en début de liste du morceau de papier qui m'est dédié.


-Toc!Toc!


pas de réponse, comme bien souvent. Mais par principe, je frappe toujours.

Je rentre donc dans la chambre, ponctuant mon entrée par un "Bonjour" enjoué, je dois m'occuper de la personne qui occupe le lit côté fenêtre.
J'ai bien saisi avec Anita, qu'elle n'a pas le temps de me communiquer les informations "basiques" sur les patients. Je vais devoir me débrouiller en faisant preuve de discernement.
Monsieur X me regarde d'un air fébrile, les mains farfouillant sous les draps, ce que je suppose être sa protection de nuit. Et bingo ! c'est bien cela.
Nous sommes Dimanche. Pas de douches pour les résidents.
Nous faisons des "petites toilettes", ce qui signifie "visage-mains-et éventuellement les parties intimes" car le personnel est réduit au strict minimum.
Je sens que cela va être "compliqué".

-Bonjour Monsieur, je suis .... patati-patata......

Monsieur X ne bronche pas, ne me regarde pas, continue de "jouer" avec la substance qu'il sort maintenant de sa protection, dans le but visible pour moi maintenant, de la porter à la bouche.

Rapidement je lui saisi les deux mains, je parviens à capter son regard, et lui explique de ne pas faire ça et que je vais lui faire sa toilette. Je verbalise comme je peux avec des mots simples et courts et là......

"HHHHHHHHHiiiiiiiiiiiiiiii !!!!!!!!", il se met à hurler,

je le lache immédiatement et finalement, je le laisse vaquer à son occupation du moment, qui semble l'apaiser quelque peu, pendant que je m'affaire à préparer ce dont j'aurai besoin pour le soin.
On ne peut pas dire qu'il y ait grand chose dans la salle de bain.
Comme bien souvent, les personnes âgées dans ce genre d'endroit, n'ont RIEN.

Un reste de savon bien sale, un seul gant de toilette douteux, une serviette trouée et rèche, un rasoir à jetable, mais que le personnel conserve comme un précieux sésame, et une eau de cologne largement éventée....

Mon plateau préparé, il me faut maintenant savoir si la pathologie du monsieur est en adéquation avec la station debout, et surtout, la marche jusqu'à la salle de bains.
Je lui pose la question, il me regarde, je pense qu'il ignore le sens de ma question.
Décidemment, je ne peux pas le lever sans savoir, il y a trop de risques pour cette personne et je pars chercher désespéremment ma collègue au hasard d'une chambre. Nous disposons de téléphones pour pouvoir nous joindre. Malheureusement, je ne connais pas son numéro.....

Elle s'est tout simplement volatilisée, et n'est dans aucune chambre, je suis perplexe.
Je me demande honnêtement ce que je fais là.

Tant pis, je retourne dans l'aile précedente, et obtiens enfin une réponse complète d'une AS plus "ouverte". Elle a compris que je suis remplaçante, et me briefe brièvement sur les résidents de "mon" aile. Elle ne peut pas faire plus, nous sommes en sous nombre, et il faut faire vite.
Je lui en serai reconnaissante, enfin une soignante humaine....

De retour avec Monsieur X, dont le visage est clairement barbouillé maintenant, je le lève, l'installe dans un fauteuil roulant, et HOP ! direction salle de bains.
Le rasage s'avère difficile, les lames du jetable son inexistantes et les poils ne disparaissent pas du tout.
Tant pis, je n'ai pas le choix. J'en ferai part aux transmissions avec l'équipe.
De plus, la barbe est dure, datant de plusieurs jours, il n'y a aucun doute.
Un peu d'eau de cologne. Pendant le soin, je continue de parler à ce Monsieur, je lui raconte que dehors il fait froid, lui demande si je ne lui fais pas mal,

je n'obtiendrai pas un mot de sa part.
Sachant maintenant qu'il peut se tenir debout avec appui, je place ses mains sur le lavabo,

il croche effectivement, et je le fais se lever,

je suis rassurée, car je vais pouvoir lui faire une toilette méritée, à la vue du désastre que je vois.
Il a du "manger" sa protection pendant la nuit, car elle est déchiquettée,

et n'a pas du tout opéré sa fonction.
Mais j'y suis habituée, c'est mon lot quotidien en gériatrie.
Je comprend qu'il doit être bien difficile pour une personne, qu'elle soit âgée,ou pas,

de porter des protections comme un bébé.
J'imagine que cet homme, un père, un grand père, a peut être des réminiscences du passé,

des moments de lucidité, durant lesquels il ne supporte pas d'avoir des barrières sur les côtés du lit qui l'empêchent d'utiliser les WC et l'obligent à "se faire dessus" dans "cette protection".
NOUS, les soignants, n'avons pas le beau rôle quand nous mettons ces couches, et surtout,

les ôtons, souillées, et puantes, face aux regards souvent lucides de nos patients....

J'ai honte de mon métier dans ces moments car ces changes sont intimement liés au fait

que le personnel n'a pas le temps, les moyens physiques, d'aider les résidents à aller aux WC régulièrement....alors, la solution est toute trouvée par le corps médical : les couches et la régression qui les accompagne.....

On s'y fait, ou pas.....
L'incontinance.
Ce mot est si facile, voir "pratique" à inscrire sur un dossier de soin,

une nouvelle à annoncer et à faire accepter à une famille.....

Une fois la décision prise, Monsieur X, Madame Y, se verra porter,

sans autre forme de procès, un taille S, M, X, ou XL, nuit et jour.
Les soignants, qui ne sont aucunement responsables, n'auront plus à emmener régulièrement le patient

aux WC, et ce dernier perdra progressivement son autonomie.

Combien de personnes âgées ont demandé, supplié qu'on les mette aux toilettes,

au pire, sur un plat bassin, plutôt que de porter une couche .?

Que nenni, les maisons de retraite, prises par le temps, le manque de mains, de motivation du personnel parfois, et aussi un rendement exigé, ne peut, bien souvent, pas répondre positivement à cette demande, et irrémédiablement,

avec l'accord des familles, c'est la protection qui gagne la partie, bien pratique pour tout le monde, sauf pour la personne âgée.


Monsieur X a été lavé. Si l'on peut dire.....

Je l'emmène dans la salle commune.
Quelques résidents sont déjà là. Tous alignés dans leur chaise roulante.
Toujours les mêmes stéréotypes, les mêmes regards....Vides,

les gestes identiques de l'un à l'autre,

immuables de services en services.
Les mains qui essaient d'attraper le vide, les corps penchés sur le côté, des mots murmurés ou criés sans aucun sens pour nous.....certains se parlent, des dialogues sans aucun sens pour nous....d'autres sont perpétuellement murés dans le silence.

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