igmarette22

Dimanche 24 juin 2012 à 20:01

Lucie m’accueille donc dans la salle avec une grande poignée de mains, un sourire éclatant, le tout accompagné d’un clin de d’œil complice.

Avec l’aide de Pierre, Madame Y est posée avec douceur sur la table d’examen, celle-ci ressemble à celles que j’ai aperçues dans les salles d’autopsies des hôpitaux.

Lucie commence à déshabiller la défunte, avec des gestes rapides et efficaces, Pierre lance la conversation sur le film de la veille, cette ambiance semble si « ordinaire » que c’est déroutant pour une néophyte comme moi ! Finalement, Pierre nous annonce qu’il s’occuper de la chambre funéraire et faire divers papiers pendant que je regarde le soin de conservation.
 

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Lucie commence par me décrire les instruments qu’elle enlève de sa mallette et qui vont lui servir pour ce soin, tels que des scalpels, crochets, séparateur, pinces à mécher, ciseaux, pinces à clamper, pinces serre-tubes, aiguilles courbes, fil..., certains me sont familiers, d’autres, pas du tout. Ces derniers sont disposés sur une tablette. Elle va également utiliser un bocal d’injection avec une pompe électrique et un bocal de ponction.

Tout le matériel étant disposé, elle commence à effectuer des tractions et des massages sur le corps de la défunte ceci, m’explique t-elle, afin d’abaisser la rigidité des membres.
Pour le moment, rien ne m’effraie dans ses actes, malgré tout, l’ambiance est étrange, je sens vaguement, comme une odeur de mort, des essences inconnues dans l’air, comme un pièce qui n’aurait pas été aérée depuis plusieurs jours.

Les cheveux sont lavés à l’éponge, les orifices naturels avec du coton et du formol.

Lucie positionne également la bouche de manière à lui faire esquisser un léger sourire, et effectue une petite ligature de celle-ci.

Elle m’explique que dans le cas des enfants, la bouche est laissée entre ouverte, l’image de ceux-ci en est plus douce, plus naturelle, et donc, moins choquante pour les familles.

Je me demande comment on peut effectuer un soin à un enfant….cette image ne passe pas le barrage mental de mon cerveau.

Je suis une maman, et je ne parviens pas à imaginer que je pourrais dépasser cette limite. Curieusement, ce métier devient cruel, voir inhumain dans mon esprit et atteint ses limites. Je peux et j’arrive manifestement à supporter et même à trouver du plaisir dans la technicité de cette profession auprès de personnes âgées ou décédées « naturellement », mais je n’arrive pas à me projeter dans le cas d’un corps d’enfant ou de jeune adulte.

Cela me renvoie à la cruauté et l’injustice de la mort qui ne devrait normalement pas se produire avant un âge avancé. Car la mort est rupture. Une rupture définitive et irréversible qui prend tout son sens dans ce qu’elle a d’insoutenable et d’inacceptable à travers ce qu’elle laisse : le corps mort de l’être aimé voué au pourrissement, au sein d’un cercueil, ou destiné à être brûlé, durant une crémation….

Je me souviens d’un adolescent décédé pendant un stage durant mes études d’aide soignante, je n’avais pas lu son dossier, mais avais simplement su qu’il avait subit une opération du cœur quelques mois avant son hospitalisation. Malheureusement, elle n’avait pas suffit à guérir son cœur très malade, et celui-ci était décédé durant ma formation. J’étais restée professionnelle, et n’avais pas montré mes sentiments dans cette chambre, j’avais rangé ses effets, ôté les fleurs, mais la présence de ce jeune défunt dans son lit, entouré de ses parents, m’avait empêché de trouver le sommeil les jours suivants. Je ne concevais tout simplement pas que l’on puisse mourir si jeune….il n’avait que 17 ans.

Je comprends maintenant que ce n’est pas l’image de son corps sans vie qui m’avait choquée, mais simplement la douleur de sa famille ; la vue de son petit frère, lui tenant la main et lui demandant de « revenir », l’incompréhension de ses parents face aux explications des médecins…et le manque d’intimité dans cet hôpital pour ses proches qui tentaient vainement d’intégrer la perte de leur enfant, de leur frère.
Face à Lucie, je réalise que je ne pourrais sans doute pas supporter d’intervenir dans le cas de jeunes défunts, pire, de nouveaux nés….mais je me rend bien compte de l’importance de cette « mise en scène » qui fera prendre son sens au rite des funérailles, le cadavre servant de support physique vers une séparation définitive.

Mes pensées fusent et Lucie est déjà à l’œuvre afin d’extérioriser l’artère carotidienne d’une incision nette et précise. S’en suit la mise en place de la canule d’injection afin d’y introduire 2 litres de formol.

http://igmarette22.cowblog.fr/images/imagesCAGNNWEV.jpgLe drainage et la ponction du corps prendront environ 30 minutes. Je commence à percevoir les effluves corporelles dont m’a parlé Lucie il y a peu, elle m’a prévenu qu’elles pourraient me gêner, et que je pourrais sortir si je me sentais mal. Ces émanations sont liées au drainage des gazs, Lucie a en effet retiré les liquides excédents et les gaz contenus dans les cavités et les organes. À l’aide d'un trocart ( tube de métal allongé avec un embout, relié à un système d' aspiration ) inséré par une petite incision pratiquée près du nombril. Cette action permet entre autres de retirer le surplus de sang, l'urine, le contenu de l'estomac, les gaz intestinaux...
Les odeurs me sont inconnues, plus fortes et plus pénétrantes que toutes celles que j’ai senties jusqu’à présent.
Lucie m’explique avec tact que l’on s’y fait, et fait un rapprochement avec mes premières toilettes en gériatrie. C’est vrai que la première fois, j’ai rêvé de pouvoir ouvrir la fenêtre et que, soins après soins, je m’y suis habituée, jusqu’à ne plus sentir ces odeurs.

http://igmarette22.cowblog.fr/images/imagesCAGRSXYS.jpgIl est maintenant temps de recoudre les incisions faites précédemment, de jeter un dernier coup d’œil et de vérifier qu’il n’y a aucun suintement sur ces dernières.
J’aide Lucie à habiller Madame Y, d’un joli tailleur gris, à remettre sa chaîne autour de son cou, une légère touche de maquillage et la coiffure, enfin, succèderont à la préparation technique du cadavre.
Je contemple le corps, et réalise les modifications apportées en 2h. Ce corps sans vie est magnifié en quelque sorte.

En effet, c’est bien l’image d’une défunte « presque vivante » qui s’offre à mes yeux, la dépouille de Madame Y pourra désormais être exposée lors de la dernière visite et des derniers hommages sans qu’aucun stigmate de sa mort ne vienne entacher le souvenir de son vivant

Par service à la personne le Lundi 25 juin 2012 à 11:14
Merci pour cet article qui est très intéressant, mais aussi de nous parée de dorure pour affronté la mort! :)

Marie.
Par Kyra le Lundi 25 juin 2012 à 16:27
Moi je trouve ça formidable ces techniques pour "améliorer" le corps pour le maquiller et que la mort soit presqu'absente. Pour que ce corps soit présentable et non choquant.
Mais qu'est ce que ça doit être dur de travailler avec des gens à qui tu ne peux pas parler. Ca doit manquer de contact, d'humanité, de vivant..
Alors moi je dis bravo à tous ceux qui réussissent à faire ce métier hors du commun.
 

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